Wednesday, November 7, 2012

رسالة إستقالتي من حزب التقدم والإشتراكية


في ظل التحولات التي عرفها العالم العربي بعد أكثر من سنة على اندلاع الثورة التونسية، عرف المغرب إنهيار جدار الخوف و إنطلاق حركة 20 فبرايروالنقاش حول طبيعة النظام السياسي المغربي ، و بعد الفوز الإنتخابي لحزب العدالة والتنمية الحامل لمشروع ديمقراطي والمدافع عن الفئات المحرومة، وبعد أن إتخذ حزب التقدم والإشتراكية قرار المشاركة في الحكومة الحالية، يبدو أن قياديي الحزب الذين يسيطرون على أجهزته غير مؤهلين لخوض معركة الدفاع عن الهوية المغربية و الكرامة والعدالة و الحرية ومحاربة الإستبداد والفساد. كما شاهدنا ردود فعل ممثلي حزب التقدم والإشتراكية في الحكومة عند نشر لائحة المستفدين من المأ ذونيات وتحديد دفتر تحملات الشركة الوطنية للإذاعة و التلفزة التي تبين أن بعض أعضاء القيادة الحالية يدافعون من داخل الحكومة عن مصا لح القصر والإستعمار الجديد و إقتصاد الريع. وبالرغم أنه لا يزال حزب التقدم والإشتراكية يضم عدد كبير من النزهاء، الا أنه فقد تجدره في المجتمع و مبادئه و أخلاقه. ولهذه الأسباب، أقدم إستقالتي من الديوان السياسي و من الحزب. ومستقبلا، ستظل مساهمتي الفكرية و النضالية وفية للمبادئ و القيم التي حددت دائما إختياراتي و مواقفي. وأحيي المناضلات و المناضلين الذين أنتخبوني عضوا للديوان السياسي، وستبقى علاقتي معهم مطبوعة بالمودة و الإحترام. يوسف بلال

Thursday, February 2, 2012

Note de lecture de Kenza Sefrioui sur "Le cheikh et le calife"

Méditerranée / Le Cheikh et le Calife, Sociologie religieuse de l’islam politique au Maroc, Youssef Belal
Kenza Sefrioui
Alors que les mouvements islamistes arrivent en tête des urnes en Tunisie, en Egypte et au Maroc, Youssef Belal parle dans ce dernier cas de sécularisation bien avancée. Ce jeune docteur en sciences politiques récuse d’ailleurs l’appellation d’«islamiste» et lui préfère celle d’«islamique». Dans sa thèse, initialement intitulée Le Réenchantement du monde: autorité et rationalisation en Islam marocain, il se penche sur les trois principaux acteurs politiques qui revendiquent un discours religieux: la monarchie, le mouvement de Abdessalam Yassine Al-Adl wa-l-Ihsane (Justice et Bienfaisance) et le Mouvement pour l’Unicité et la Réforme (MUR), dont émane le Parti de la Justice et du Développement (PJD) dont le secrétaire général vient d’être nommé chef du gouvernement suite aux élections législatives du 25 novembre 2011. Youssef Belal, dont le père était une figure importante du parti communiste marocain, le Parti du progrès et du socialisme, s’intéresse de longue date aux théories et aux pratiques de la démocratie. Il a donc mené une enquête de terrain pendant deux ans auprès des militants d’Al-Adl wa-l-Ihsane, du MUR et du PJD, pour comprendre leurs motivations. Il a aussi décortiqué les archives pour comprendre l’articulation du politique et du religieux depuis les années 1930. L’enjeu de cette recherche, riche, bien écrite et qui adopte une méthode wébérienne, porte sur la façon dont les acteurs politiques produisent et légitiment leur leadership, leurs discours et leurs mises en scènes, et surtout le mode d’exercice de deux fondamentaux de la démocratie : le pluralisme et le débat public.

Autoritarisme sous habits religieux
Youssef Belal s’inscrit en faux contre une vision assez répandue dans le monde occidental et qu’il juge «néo-orientaliste», voulant que les mouvements islamistes soient anti-modernes et incompatibles avec la démocratie. Ce qui apparaît nettement dans Le Cheikh et le Calife, c’est que c’est souvent l’Etat, s’appuyant sur la religion pour affirmer, voire tenter de légitimer son caractère autoritaire, qui bloque les dynamiques sociétales demandeuses de plus d’autonomie, entre autres ces mouvements religieux.
Que l’autoritarisme prenne appui sur la religion, ce n’est pas nouveau. Il y a des pages très claires sur la façon dont la monarchie s’en est servie. Youssef Belal décortique la figure d’imam et de saint de Mohammed V, à la fois détenteur du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel, mais déléguant à Hassan II ce qui pourrait entacher son prestige religieux : « Dans les années 1955-1961, on assiste ainsi à une sorte de division du travail entre un roi qui s’appuie sur son capital symbolique pour régner et un prince qui gouverne et « met la main dans le cambouis»». Un prince héritier puis un roi dont on sait qu’il n’a pas eu d’états d’âme. Alors qu’il n’était pas très crédible en montant sur le trône dans son rôle de Commandeur des croyants et que c’est par ironie que John Waterbury a intitulé son travail Le Commandeur des croyants, Hassan II, rescapé des deux tentatives de coup d’Etat en 1971 et 1972 décide de créer son mythe et de susciter «une fusion mystique entre lui et le peuple ». D’où la mise en scène de la Marche Verte en 1975, basée sur un discours sacrificiel et sur une comparaison avec la geste du Prophète: «Faire allégeance à Hassan II qui se réfère explicitement à son titre de Amîr al-Mu’minîn, c’est faire allégeance au Prophète et c’est en définitive faire allégeance à Dieu». Cette attitude s’inscrit dans la droite ligne de celle du protectorat qui, pour asseoir sa domination sur le pays, a largement pris appui sur la religion: dans les années 1920 en effet, Lyautey s’opposait à ce que la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen soit affichée en ville européenne, la jugeant «en contradiction avec l’Islam» et utilisait un langage religieux pour s’adresser aux Marocains.
Si «c’est paradoxalement dans la mosquée que les dirigeants du mouvement national ont trouvé, en dehors de la sphère domestique, le seul véritable espace de liberté pour contourner les interdictions qu’avaient instituées le protectorat», Youssef Belal fait remarquer que le discours de Allal al-Fassi, leader du parti de l’Istiqlal et ‘alem, s’est toujours posé en homme politique, orienté vers l’action et la mobilisation pour l’indépendance. « Il ne réforme la religion que dans la mesure où il a besoin d’une reformulation du sens pour les nécessités de l’action. Il transforme en éthique le savoir religieux dont il a hérité et le subordonne au politique ». Cette position, et celle d’autres, fait apparaître que dès cette époque, «les plus «religieux» du mouvement national séparent clairement la religion de la politique». Les mouvements religieux sont donc une des formes de contestation d’un autoritarisme qui prend appui sur la religion.

Mysticisme vs rationalisme
Youssef Belal retrace donc l’histoire de ces mouvements, depuis Allal al-Fassi à Al-Adl wa-l-Ihsane et au PJD, en passant par la Shabîba Islamiyya, la Jamâ’a islâmiyya et le MUR. Il fait apparaître la diversité de leurs discours et établit plusieurs parallèles. Si le rigorisme en matière doctrinal et sociétal est un point commun – au point qu’Al-Adl wa-l-Ihsane tout autant que le MUR ont subi une contestation de la part de leurs sections féminines –, la nature de modèles symboliques mis en œuvre est très différentes. Ainsi, Youssef Belal donne une vivante description d’Al Adl wa-l-Ihsane, en brossant le portrait de son leader Abdessalam Yassine et en citant nombre de ses adeptes. Le modèle messianique et sacrificiel, ressuscitant l’islam confrérique, même s’il le développe plutôt sous la forme d’une utopie politique, le rapproche très nettement de la stratégie monarchie avec laquelle il avait d’ailleurs souhaité coopérer. L’épisode de la lettre envoyée à Hassan II, que Youssef Belal interprète comme le fait de tenter l’épreuve dont on ressort auréolé de sainteté, s’inscrit dans la tradition anachronique du miroir des princes, tout « autant que la prétention du monarque à être Amîr al-Mu’minîn». Même lexique, même posture d’intermédiaire entre hommes et Dieu, même attitude vis-à-vis des adeptes ou sujets, contraints à la soumission, même pratique du «diviser pour régner». Tout autre apparaît le MUR et son bras politique, le PJD. Prédicateurs qui se sont séparés de la Shabîba pour jouer l’intégration politique, il font allégeance et se posent en «intermédiaires religieux». Youssef Belal souligne l’aspect entrepreneurial de leur démarche, et fait le parallèle entre les groupes de prédication du MUR, générateurs de bonne réputation, avec les sectes américaines, où l’aspect moral prime sur le politique. Il souligne également la rationalisation du religieux par le PJD lors des campagnes électorales, proposant ainsi «une politique publique religieuse comme il propose des politiques publiques dans d’autres domaines».

Tous ces mouvements ont pour point commun d’être structurés par la «distinction entre le politique et le religieux», et Youssef Belal met en avant les motivations d’abord religieuses de leurs militants. Son travail se distingue en cela de chercheurs comme Olivier Roy ou Gilles Kepel, qui y voient des mouvements d’abord politiques. Ce qui ressort en creux à la lecture de ce livre, synthèse vivante de témoignages et d’archives et utile en ce moment de contestation des autoritarismes, c’est l’importance des problèmes économiques et sociaux, qui font le succès de ces «entrepreneurs en biens de salut», mais aussi le fait que la légitimité religieuse ne suffit pas à la monarchie. Youssef Belal formule ce constat: «En participant à la division du travail induite par la modernité politique, la monarchie se spécialiserait dans la gestion des biens de salut et renoncerait à son pouvoir exécutif. Pour que sa fonction religieuse fasse sens dans le monde moderne, elle doit se tenir à l’écart des soubresauts des affaires profanes.» Un espoir partagé par tous ceux qui rêvent de voir au Maroc une monarchie à l’anglaise…

Kenza Sefrioui
31/01/2012
Le Cheikh et le Calife, Sociologie religieuse de l’islam politique au Maroc
Youssef Belal
Tarik éditions, 336 p., 80 DH

Sunday, January 1, 2012



Le Cheikh, le Calife et l’auto-émancipation du Peuple

A propos de Youssef Belal, Le cheikh et le calife, sociologie religieuse de l’islam politique au Maroc, Lyon, Éditions de l’ENS (Coll. Sociétés, Espaces et Temps*), 336 pages, 2011.


Par Réda Benkirane, chercheur associé au Centre Jacques Berque.



Face aux transformations sociales majeures actuelles, il y a besoin d’une réflexion prospective à même d’éclairer le temps présent par une analyse qui soit également rétrospective et introspective. Le degré d’incertitude et la phase critique – si richement possibiliste – qui caractérisent actuellement le monde arabe, le Maroc compris, font que les sciences dites « sociales » doivent pouvoir non seulement accompagner mais participer à cette maturation sociétale qui va, à n’en pas douter, déterminer l’évolution des prochaines décennies. Certes, quelques chevaliers médiatiques se sont dépêchés de publier des ouvrages ou de commenter ce qui se joue : ce sont des articles de promotion suintant la rhétorique apologétique ou conspirationniste qui ne disent rien des sociétés en devenir et tout des ferments et tourments égotistes de leurs auteurs – en réalité complètement désorientés par le processus révolutionnaire. Et puis il y a des textes et des livres, anciens et actuels, qui éclairent l’événement et informent la transition de phase (ce passage du quantitatif au qualitatif) qui courent de Nouakchott à Sanaa en passant par Tunis et le Caire.



Une triangulation du champ politico-religieux marocain



Le livre du politologue marocain Youssef Belal est de cette teneur-là, prémonitoire et prospective ; fruit d’une enquête de terrain menée il y a quelques années, cet ouvrage récemment paru prend un relief tout particulier suite aux développements sociopolitiques que le Maroc a vécu depuis le 20 février 2011. Sa lecture permet de mieux comprendre les fondements sociologiques, l’arrière-plan religieux mais aussi les ressorts psychologiques du pouvoir et de sa représentation derrière la dernière réforme constitutionnelle de juillet 2011 et surtout les élections législatives du 25 novembre dernier et l’accession à la tête du gouvernement – une première – d’un parti islamiste, le Parti de la justice et du développement (PJD).


Le sujet du livre de Youssef Belal est l’étude du champ théologico-politique marocain, sa formation au cours des quarante dernières années, ses logiques et dynamiques endogènes, ses références identitaires et mémorielles, sa symbolique et ses régimes de sainteté, ses mises en scène et ses lignes de fuite. Cet ouvrage pertinent, documenté et équilibré arpente le paysage politico-religieux du Maroc en lui restituant sa profondeur logique autant qu’historique. L’étude se concentre sur les trois principales forces religieuses et politiques que sont premièrement le Roi et la Monarchie, deuxièmement le leader Abdessalam Yassine et son mouvement Justice et Bienfaisance, enfin troisièmement le Mouvement pour l’unicité et la réforme (MUR) et son expression politique légale au travers du PJD. L’auteur montre – et c’est là où ce travail se distingue – que les antagonismes entre monarchie théocratique, sectes mystico-politiques et autres « communautés émotionnelles » sont des phénomènes transitoires et qu’en réalité une restructuration profonde du religieux est en cours dans un temps long qui prend ses premiers repères dans les années 1930 au sein du mouvement de réforme théologico-politique porté par Allal el Fassi et ses compagnons nationalistes. L’auteur montre, au-delà des différences, une mise à niveau de ces trois forces avec tout ce qu’elles régissent en commun.


L’ouvrage de Youssef Belal est d’emblée animé d’un positionnement épistémologique visant à se démarquer notablement des « spécialistes de l’islam » qui ont fait flores dans les médias et l’édition francophones ces vingt dernières années (relevant par bien des aspects de la catégorie « néo-orientaliste » identifiée par le politologue mauritanien Mahmoud Ould Mohammedou). Dans son étude du théologico-politique marocain, Youssef Belal renouvelle ici un éclairage théorique déployé depuis une quinzaine d’années par des chercheurs maghrébins (principalement Mohamed Tozy, Malika Zeghal et Mounia Benani-Chraïbi) mais en se démarquant nettement de leurs « sciences po » appliquées. En variant sa focale selon les perspectives d’une histoire sociale, d’une anthropologie politique et d’une sociologie religieuse, l’auteur développe sa propre trousse à outils conceptuelle qui a pour base empirique son observation participante entreprise au plus près des militants de la mouvance islamiste.



Légitimité, rationalité, réformisme au sein de la société profonde



L’approche théorique de l’auteur, cohérente et pénétrante, traite le spécifique et le particulier du complexe théologico-politique marocain en recourant au vocabulaire sociologique de Max Weber. Là, tout un chacun discerne en quoi consiste cette triangulation de l’islam marocain par le jeu des détails quand, d’entrée de jeu, l’auteur affirme que les notions classiques « d’« entrepreneurs en biens de salut », de « rénovateur de religions » ou de « prédicateur » ont une valeur heuristique très supérieure à « islamiste », catégorie de peu de secours lorsqu’il s’agit de trouver le religieux. »

L’objectif visé par Youssef Belal est moins de montrer des rapports de force et de domination (des plus fluctuants ces dernières décennies dans le cas marocain) que la subtilité, la fluidité et l’étoffe des relations entre le politique et le religieux au sein d’un État non-européen comme le Maroc.

Dans son livre, le politologue cherche plus l’intelligibilité de la situation marocaine que le regard critique sur cette dernière ; il n’a pas à ce stade – et c’est parfaitement justifié méthodologiquement parlant – repensé les diverses légitimités politico-religieuses en présence qu’il place dans un même continuum idéologique – c’est selon nous la principale valeur ajoutée de cette recherche. Youssef Belal ne froisse donc personne avec ce livre, mais il entraîne ses lecteurs dans un processus de discernement en présentant la rationalité des trois acteurs du champ politico-religieux ; il laisse les lecteurs libres de se forger leur propre opinion critique sur la monarchie théocratique, le messianisme politique d’Abdessalam Yacine ou la démarche entrepreneuriale des activistes du PJD. Néanmoins Youssef Belal montre que l’aspect théocratique du pouvoir monarchique est plus contingent que véritablement transcendant quand il fait remarquer que la relation des citoyens à la Monarchie a oscillé selon les événements historiques pour les trois rois Mohamed V, Hassan II et Mohamed VI. Ainsi l’auteur rappelle comment Mohamed V fut à ses débuts en 1927 contraint à un rôle de figuration au profit de l’administration coloniale avant de symboliser l’esprit d’indépendance à partir du discours de Tanger de 1947. Ce n’est qu’après avoir subi le rejet de l’élite politique et échappé à deux tentatives de coup d’État en 1971 et 1972 que le roi Hassan II a donné une interprétation et une orientation religieuses à son règne. Mohamed V et son fils Hassan II commencèrent leurs règnes dans une relative méfiance populaire qui allait progressivement se transformer en adhésion massive (la lutte nationaliste durant le Protectorat et la Marche verte de 1975). A l’inverse, le roi actuel Mohammed VI a bénéficié d’une franche popularité et d’un capital de sympathie au moment de son accession au trône (cette relation de confiance s’étant vite traduite par une phase de libéralisation du système politique).



Nouvel acteur, « Sa Majesté le Peuple »


Mais étrangement le livre de Youssef Belal, densément peuplé de références mystiques et religieuses, révèle un vide idéologique, celui de la déshérence de la gauche. Que s’est-il passé ? Que reste-t-il finalement de l’esprit égalitaire et universaliste du socialisme porteur des combats pour et autour de l’indépendance politique, héritier de la figure tutélaire de Mehdi Ben Barka et dans une moindre mesure de celle de Omar Benjelloun – dont le meurtre politique préfigurera l’effondrement à venir du mouvement progressiste au Maroc ? « Le Cheikh et le Calife » semblent occuper tout l’espace politique, et cela est en soi problématique dans la mesure où disparaît du champ historique tout un pan de la vie politique et syndicale du peuple marocain.


L’autre grande question qui ressort à la lecture de ce livre est qu’entretemps un nouvel acteur a fait son entrée en scène désormais, et il est amené à devenir la principale source de souveraineté et de légitimité : le Peuple. Cette notion de « peuple » n’est pas une seule fois mentionnée dans la Constitution marocaine de 1996 et allusivement signalée dans celle de juillet 2011. S’il existe des États-nations sans dieu ni roi ni territoire reconnu il n’en existe pas sans peuple. C’est précisément ce qu’ont cherché à exprimer les manifestations populaires qui se sont déroulées tout au long de l’année 2011 dans la plupart des villes marocaines et dont on retiendra des slogans tels que « vive le peuple ! » et « Sa Majesté le Peuple ».


Le « Peuple » dont il est question au Maroc – mais aussi un peu partout dans le monde arabe – n’est pas un « Nous » ontique et antique, tribal et clanique sur le mode khaldounien. C’est plutôt un « On » postmoderne exprimant un devenir. Le peuple ici renvoie à l’ubiquité du pronom impersonnel « On » qui s’affirme premièrement par un « Non » catégorique. Le « On » et son « Non » expriment l’individu et le collectif, s’accordent au pluriel et au singulier et en genre. « Sa Majesté le Peuple » signifie donc cette puissance immanente du « On », soit la quintessence des révolutions sociales arabes dont la grande nouveauté est qu’elles ont pu réunir individualités et multitudes, hommes et femmes, jeunes et vieux, toutes classes sociales, confessions, ethnies confondues autour de quelques mots d’ordre incandescents « liberté, justice, dignité », « dégage ! ». Ce qui devrait être fascinant à observer ces prochaines années est cette irruption massive et irréversible du Peuple, cette montée en puissance du « On » sur la scène jusque-là transcendantalisée du pouvoir politique et de l’autorité religieuse.


« Un livre vaut à mes yeux par le nombre et la nouveauté des problèmes qu'il crée, anime ou ranime dans ma pensée...» disait Paul Valéry. Le livre de Youssef Belal a ce potentiel fécond de poser des questions, d’énoncer des problèmes à partir d’une observation de la société profonde marocaine. Le cheikh et le calife apporte un éclairage opportun dans cette phase critique et passionnante de l’histoire sociale marocaine ; cet ouvrage annonce avec d’autres travaux prometteurs de jeunes chercheurs qu’un renouvellement de génération est en cours. Les sciences sociales et humaines au Maroc et plus généralement au Maghreb sont en mesure de connaître un essor comparable à celui survenu en Amérique latine lors de son processus de démocratisation ; il est à espérer que ces sciences et leurs acteurs soient à la hauteur de la créativité et du dynamisme que les mouvements sociaux ont su mettre en œuvre du Maghreb au Machreq.


Reda Benkirane





*Cette collection est co-dirigée par Frédéric Abécassis, chercheur associé au Centre Jacques Berque.